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Douce Mère, J'avais mal posé ma question la dernière fois. Je ne voulais pas parler du progrès que l'on a fait, c'est-à-dire des résultats du passé, mais de l'état où l'on est. Ce n'est pas le chemin parcouru que je veux constater mais savoir si je suis en train de marcher continuellement, sans arrêt sur ce chemin.
La marche est rarement en ligne droite et continue, parce qu'un être humain est fait de beaucoup de morceaux divers, et généralement c'est un morceau ou l'autre qui progresse à son tour, pendant que les autres morceaux se tiennent tranquilles jusqu'à ce que leur tour vienne. C'est seulement lorsque la conscience croit suffisamment pour avoir une vue d'ensemble que l'on peut se rendre compte exactement de ce qui se passe. Mais pour être sur d'une avance progressive et régulière, il faut garder toujours vivante la flamme de son aspiration. Le 16 septembre 1964 Douce Mère, À quoi sert le "japa¹" ? Est-ce une bonne méthode de répéter des mots comme "Silence" et "Paix" pour établir en soi le silence et la paix quand on s'assoit pour méditer?
Une simple répétition de mots ne peut pas avoir beaucoup d'effet. Il y a des japas classiques ou traditionnels qui sont destines à mater le mental inférieur et à établir un rapport avec des forces supérieures ou des divinités. Ces japas doivent être donnés par le Gourou, qui en même temps infuse en eux le pouvoir de réalisation. Ils ne sont utiles que pour celui qui veut faire un yoga intensif et passer cinq ou six heures de sa journée en pratiques yoguiques.
¹Japa ; répétition d'un mantra ou de l'un des noms de la Divinité. Page – 305 Le japa tel que tu le décris ne peut pas avoir grand effet, excepté un abrutissement tamasique qu'il ne faudrait pas prendre pour le silence mental. Le 23 septembre 1964 Douce Mère, J'ai entendu dire qu'un astrologue avait prédit que, dans six mois, Lalbahadur Shastri ne serait plus le premier ministre et qu'il serait remplacé par Indira Gandhi, mais seulement pour quinze jours. Puis viendrait une période de chaos dans le gouvernement. C'est alors qu'arrivera sur la scene un jeune homme qui sera guidé par une force divine qui provient d'une femme ayant un grand pouvoir spirituel. Qu'en penses-Tu?
On dit beaucoup de choses — surtout les astrologues. Nous n'avons qu'à attendre, nous verrons bien ce qui arrivera. Le 30 septembre 1964 Douce Mère, Est-ce qu'une faute ou une mauvaise action est pardonnable si l'on est sur que ce que l'on fait est juste et que l'on est sincère ? Comment savoir qu'on est en train de se tromper ?
Le fait même de se tromper prouve que l'on n'est pas sincère quelque part dans l'être. Car l'être psychique sait et ne se trompe pas, mais le plus souvent on n'écoute pas ce qu'il dit parce qu'il le dit sans violence et sans insistance, c'est un murmure dans le fond de noire cœur, qu'il est facile d'ignorer. Pourtant il y a des cas où on agit mal par ignorance, et cette faute est effacée dès que l'ignorance est remplacée par la connaissance et que la manière d'agir est complètement changée. Page – 306 Ce que, dans son ignorance, l'homme appelle "pardon" est l'effacement, la dissolution des fautes commises. Le 7 octobre 1964 Douce Mère, Il y a des moments où, malgré moi, un petit nuage noir de jalousie vient déséquilibrer mes activités pendant mes heures de travail. Je le dissipe immédiatement par le raisonnement mais tout de. même son effet reste et me rend un peu sombre et très susceptible. Comment peut-on se débarrasser de cela ?
En élargissant sa conscience et en la rendant universelle. Il y a bien un autre moyen, mais c'est encore plus difficile. C'est en réalisant l'Unité suprême. Le 14 octobre 1964 Douce Mère, Souvent les gens nous posent cette question : "Que faites-vous pour la société, ou même pour les Pondichériens ? Vous êtes préoccupés de votre seule communauté, de votre progrès. Rien n'existe pour vous en dehors de l'Ashram. N'est-ce pas une sorte d'isolement, un égoïsme ?"
À ce genre de question un peu sotte, Sri Aurobindo répondait toujours : "Le plus grand égoïste est le Seigneur Suprême parce qu'il ne s'occupe jamais que de Lui-même !" Le 27 octobre 1964 Douce Mère, Il y a des moments, pendant la méditation, où je sens que quelque chose en moi veut s'envoler pour goûter la pleine liberté, il y a une sorte d'enthousiasme dans l'âme (je ne sais pas si c'est de l'âme) pour jouir de l'Ananda suprême et oublier la vie telle qu'elle est. Page – 307 Que veut dire tout cela ?
C'est la contrepartie naturelle et indispensable des moments — si nombreux et fréquents ! — où tu es attaché à la vie physique et ne comprends et n'apprécies qu'elle. Les deux extrêmes alternent toujours dans l'expérience jusqu'à ce que l'on ait trouvé l'équilibre de la vérité synthétique et totale. Elle seule peut donner la vraie Liberté qui est éprouvée en toutes circonstances. Le 28 octobre 1964 Douce Mère, Bien qu'une partie de l'être aspire et veuille le Divin, l'autre partie est tellement tamasique et lourde'. Comment l'éveiller? Quels coups faut-il lui donner ? Ce n'est pas que cette partie soit contre le Divin, elle ne semble même pas s'intéresser à Lui (ce qui est pire, peut-être).
En effet, cela indique l'inertie complète. Sri Aurobindo a écrit : "Si tu ne peux pas aimer Dieu, arrange-toi au moins pour te battre avec Lui afin qu'il soit ton adversaire¹" (sous-entendu, parce que tu es sûr d'être vaincu par Lui). C'est une boutade humoristique, mais cela veut dire que l'inertie est, de tous les états, le pire. L'aspiration est le seul remède. Une aspiration qui monte constamment comme une flamme claire qui brûle toutes les impuretés de l'être. Le 4 novembre 1964
¹Aphorisme No 419: "Situ ne peux pas faire que Dieu l'aime, fais qu'Il lutte contre toi. S'Il ne veut pas te donner l'étreinte de l'amant, oblige-Le à te donner l'étreinte du lutteur." (La Mère, Pensées et Aphorisme; de Sri Aurobindo, éd. 1979, p. 387.) Page – 308 Douce Mère, On voit que beaucoup de gens sont partis de l'Ashram, soit à la recherche d'une carrière, soit pour étudier, et ce sont en général ceux qui étaient ici dès leur enfance. Il y a une sorte d'incertitude parmi les Jeunes gens quand ils voient les autres s'en aller d'ici et ils disent prudemment "Qui sait si ce ne sera pas mon four, un jour !" Je sens qu'il y a une force derrière tout cela. Qu'est-ce que c'est?
Cette incertitude et ces départs sont l'effet de ta nature inférieure qui résiste à l'influence du pouvoir yoguique et essaye de ralentir l'action divine, non pas par mauvaise volonté, mais pour être sûre que rien ne soit oublié ou négligé dans la hâte d'atteindre le but. Peu nombreux sont ceux qui sont prêts à une consécration totale. Beaucoup d'enfants qui ont étudié ici ont besoin d'affronter la vie avant d'être prêts pour l'œuvre divine et c'est pourquoi ils partent pour passer par l'épreuve de la vie ordinaire. Le 11 novembre 1964 Douce Mère, J'ai l'habitude de m'accuser moi-même, de me rendre responsable de tous les malentendus, ce qui d'ailleurs est une faiblesse plutôt qu'une vertu, car je sens que je les prends sur moi pour terminer l'affaire aussi vite que possible — une sorte d'échappatoire. Mère, je sens aussi que j'ai un complexe d'infériorité très fort. D'où vient tout cela et comment peut-on s'en débarrasser ?
Tout cela vient de ton ego qui est fort occupé de lui-même et qui préfère de beaucoup s'accuser iui-même et se critiquer plutôt que de penser à autre chose... (le Divin par exemple) et de s'oublier lui-même. Le 18 novembre 1964 Page – 309 Douce Mère, Quel est le sens de l'anniversaire, à part son caractère commémoratif ? Comment profiter de cette occasion ?
À cause du rythme des forces universelles, l'individu est censé avoir une réceptivité spéciale à la date de sa naissance chaque année. Il peut donc profiter de cette réceptivité pour prendre de bonnes résolutions et faire de nouveaux progrès sur le chemin de son développement intégral. Le 25 novembre 1964 Douce Mère, Souvent, quand je lu les œuvres de Sri Aurobindo ou ecoute ses paroles, je m'emerveille: comment cette vérité éternelle, cette beauté d'expression échappe-t-elle aux gens ! C'est: vraiment étrange qu'il ne soit pas encore reconnu, au moins comme un créateur suprême, un artiste à la lettre, un poêle par excellence ! Alors je me dis que mes jugements, mes appréciationsa sont influences par ma devotion pour le Maître — et tout le monde n 'est fais dévoue. Je ne croîs pas que cela soit vrai. Mais alors pourquoi les cœurs ne sont-ils pas encore enchantés par Ses Mots ?
Qui est-ce qui peut comprendre Sri Aurobindo ? Il est ' aussi vaste que l'univers et son enseignement n'a pas de i limites... La seule façon de s'approcher un peu de lui est de l'aimer sincèrement et de se donner sans réserve à son œuvre. ' Chacun, ainsi, fait de son mieux et contribue autant qu'il le peut à cette transformation du monde que Sri Aurobindo a prédite. Le 2 décembre 1964 Page – 310 Douce Mère, Comment vider le mental de toute pensée? Quand on essaye pendant la méditation, la pensée qu'il ne faut penser à rien est toujours là.
Ce n'est pas pendant la méditation qu'il faut apprendre à être silencieux parce que le fait même d'essayer fait du bruit. Il faut apprendre à concentrer ses énergies dans le cœur— alors, quand on y réussit, le silence se fait automatiquement. Le 9 décembre 1964 Douce Mère, Sri Aurobindo a dit quelque part que si l'on se soumet à la Grâce Divine, elle fers tout pour nous. Quelle valeur a donc la tapasyâ ?
Si tu veux savoir ce que Sri Aurobindo a dit sur un sujet donné, il faut, au moins, lire tout ce qu'il a écrit sur ce sujet. Tu verras alors qu'en apparence i a dit les choses les plus contradictoires. Mais lorsqu'on a out lu, et un peu compris, on s'aperçoit que toutes les contradictions sont des complémentaires qui s'organisent et s'unifient dans une synthèse intégrale. Voici une autre citation c e Sri Aurobindo qui te fera voir que ta question est ignorante. Il y en a beaucoup d'autres que tu pourrais lire avec intérêt et qui assoupliront ton intelligence ; "If there is not a complete surrender, then it is not possible to adopt the baby cat attitude, — it becomes mere tamasic passivity calling itself surrender. If a complete surrender is not possible in the beginning, it follows that personal effort is necessary ¹. " Le 16 décembre 1964 ¹"Si la soumission n'est pas complète, alors il n'est pas possible d'adopter l'attitude du petit chat: elle devient une simple passivité tamasique qui prétend être une soumission. Si, au début, la soumission ne peut pas être complète, il s'ensuit que l'effort personnel est nécessaire." (Lettres sur le Yoga – III, éd. 1985, p. 106.) Page – 311 Douce Mère, Souvent, après une longue méditation (un effort pour méditer) je me sens bien fatigué et j'ai envie de me reposer. Pourquoi donc et comment ne pas avoir ce sentiment ?
Tant que tu tais des efforts, ce n'est pas une méditation et il n'est guère utile de prolonger cet état. Pour obtenir le silence mental, il faut apprendre à se détendre, à se laisser flotter sur les values de la force universelle, comme on fait la planche sur l'eau, immobile mais détendu. L'effort n'est jamais silencieux. Le 23 décembre 1964 Douce Mère, Comment peut-on utiliser chaque moment de ce privilège unique de vivre ici à l'Ashram ?
Never forget where you are¹. N'oublie jamais où tu vis et le but véritable de la vie. Souviens-toi de cela à chaque minute et en toutes circonstances.Ainsi tu feras le meilleur usage de ton existence. Bonne Année pour 1965 Le 30 décembre 1964 Douce Mère, Quelle est la vérité éternelle derrière cette sympathie ou celte attraction de l'homme pour la femme ou \ de la femme pour l'homme ?
La relation de Pourousha et de Prakriti, Tu n'as qu'à lire ce que Sri Aurobindo a écrit sur le sujet. Le 5 janvier 1965 ¹N'oublie jamais où tu es. Page – 312 Douce Mère, Tu as dit (dans le message de celte année) : "Salut à toi, Vérité!" Elle est donc toute proche? Que devons-nous faire pendant 1965 pour nous préparer a la connaître et à la recevoir ?
La meilleure chose à faire est de discerner en soi-même l'origine de tous ses mouvements, ceux qui viennent de la lumière de vérité, et ceux qui viennent de l'ancienne inertie et du mensonge, afin de n'accepter que les premiers et de refuser ou de rejeter les autres. Avec la pratique, on apprend de plus en plus à discerner clairement, mais on peut établir comme règle générale que tout ce qui tend à la désunion, au désordre et à l'inertie vient du mensonge et que tout ce qui favorise l'union, l'harmonie, l'ordre et la conscience vient de la Vérité. Ceci est seulement une indication, rien de plus, pour faire ses premiers pas sur le chemin. Le 13 janvier 1965 Douce Mère, Est-ce que Ton message de cette année annonce un Age de Vérité, celui qu'on appelle "Satya-youga" dans les Écritures anciennes (le Mahâbhârata) ?
Un âge de vérité est sûr d'avoir lieu avant que la terre ne soit transformée. Le 21 janvier 1965 Douce Mère, Qu'indique cette attaque asourique incroyable sur l'Ashram¹? Sommes-nous responsables de tout cela à cause de nos défauts et de notre désobéissance
¹Le 11 février, un mouvement d'agitation anti-hindi a causé d'importants dégâts dans les bâtiments et les propriétés de l'Ashram. De nombreuses maisons ont été incendiées et pillées. Page – 313 à la Vérité Suprême dans notre vie quotidienne ?
Très certainement une chose pareille a été possible parce que l'atmosphère de l'Ashram n'est pas assez pure pour être invulnérable au mensonge. Le 17 février 1965 Douce Mère, Quelqu'un m'a posé cette question: "N'est-ce pas une grande perte pour la société humaine si des gens doues d'une capacité exceptionnelle pour servir l'humanité, comme un docteur ou un avocat doués de génie, viennent habiter ici à l'Ashram pour leur propre salue ? Ils serviraient peut-être le Divin mieux en rendant service a l'homme et au monde!
PERSONNE ne vient ici pour son propre salut parce que Sri Aurobindo ne croit pas au salut, le salut est pour nous un mot vide de sens. Nous sommes ici pour préparer la transformation de la terre et des hommes, afin que la création nouvelle puisse avoir lieu, et si nous faisons des efforts individuels de progrès, c'est parce que ces progrès sont indispensables pour que l'œuvre s'accomplisse. Je m'étonne qu'après avoir vécu si longtemps à l'Ashram tu puisses encore penser ainsi et être ouvert à ces balivernes d'églises. Je t'envoie une citation de Sri Aurobindo, qui t'aidera peut-être à éclairer ta pensée¹. Le 24 février 1965 ¹Il est également ignorant et à mille lieues de mon enseignement de le chercher dans vos relations avec les êtres humains ou dans la noblesse du caractère humain ou dans l'idée que nous sommes ici pour instaurer une vérité et une justice morales, sociales et mentales selon les principes humains égoïstes. Je n'ai jamais rien promis de ce genre. La nature humaine est faite d'imperfections, même sa rectitude et sa vertu sont des prétentions, des imperfections, de plastronneries d'un égoïsme qui s'applaudit lui-même... Ce que nous voulons, c'est une vérité spirituelle à la base de la vie, et son premier mot est la soumission, l'union avec le Divin et le dépassement de l'ego. Tant que cette base n'est pas établie, le sâdhak est simplement un être humain ignorant et imparfait qui se débat avec les maux de la nature inférieure ... Par le progrès spirituel, une proximité intérieure se crée, une intimité dans être intérieur, la perception de l'amour et de la présence de la Mère, etc." (Sri Aurobindo) Page – 314 Douce Mère, Quelle est la meilleure manière d'exprimer sa gratitude envers l'homme et envers le Divin ?
Pourquoi mets-tu ensemble l'homme et le Divin ? Il est vrai qu 'essentiellement l'homme est divin, mais pour le moment, à part quelques très rares exceptions, l'homme est tout à fait inconscient du Divin qu'il porte en lui-même; et c'est même cette inconscience qui constitue le mensonger du monde matériel. Je t'ai déjà écrit que c'est vers le Divin que doit aller notre gratitude et que vis-à-vis des hommes, une attitude de bonne volonté, de compréhension et d'entraide est la chose nécessaire. Sentir profondément, intensément, constamment une gratitude totale pour le Divin est le meilleur moyen d'être heureux et paisible. Et la seule vraie manière d'exprimer sa gratitude au Divin est de s'identifier à Lui. Le 3 mars 1965 Douce Mère, Quand peut-on dire avec certitude que l'on a commencé le yoga de Sri Aurobindo ? Quel en est le signe définitif?
Ceci est impossible à dire, car pour chacun c'est différent. Cela dépend de la partie de son être qui s'éveille en premier et répond à l'influence de Sri Aurobindo. Et personne ne peut le dire pour un autre. Le 10 mars 1965 Page – 315 Douce Mère, J'aspire à vivre le yoga de Sri Aurobindo., la vie divine. Mais je sens que je suis dans une forêt vierge ou j'ai perdu le sens de la direction. Où suis-je exactement ? J'aimerais avoir une indication, un moyen pour en sortir et pour venir sur la bonne route, la route qui mène au Divin.
Généralement le point de départ doit être une expérience, si petite soit-elle, qui sert de boussole sur le chemin et à laquelle on se rapporte pour être sûr de ne pas s'égarer, jusqu'à ce que l'on soit prêt pour une autre expérience plus importante et concluante. Les vrais jalons sur le chemin sont les expériences spontanées, non pas celles qui viennent d'une formation mentale et qui sont toujours sujettes à caution. L'expérience doit venir d'abord et l'explication après, C'est pourquoi Sri Aurobindo a dit ; ne doute jamais de ton expérience¹ ; mais tu peux douter de ton explication qui est une activité mentale. Il est très important de noter ses expériences et de s'en souvenir. Construire un système de développement est secondaire et parfois nuisible. Le 17 marrs 1965 Douce Mère, Comment peut-on distinguer un rêve d'une expérience ?
¹Aphorisme N° 96: "Que ton âme fasse l'expérience de ta vérité des Écritures, puis, si tu le veux, raisonne ton expérience et donne-lui une forme intellectuelle, et même alors méfie-toi de tes formula — mais ne doute jamais de ton expérience" (La Mère, Pensées et Aphorismes de Sri Aurobindo, éd.1979, p. 224.) Page – 316 D'une façon générale, le rêve laisse une impression confuse et fugitive, tandis que l'expérience éveille un sentiment profond et durable. Mais les nuances sont nombreuses et subtiles et c'est par une observation très attentive et sincère (c'est-à-dire dénuée de parti pris et de préférence) que l'on apprend petit à petit à discerner l'un de l'autre. Le 24 mars 1965 Douce Mère, De même qu'il y a une progression méthodique des exercices pour l'éducation mentale et physique, n'y a-t-il pas une méthode de ce genre pour faire un progrès vers le yoga de Sri Aurobindo ? Cela doit varier avec chaque individu. Peux-Tu me faire un programme gradué pour le suivre quotidiennement ?
La régularité mécanique d'un programme fixe est indispensable au développement physique, mental et vital; mais cette rigidité mécanique a peu ou pas d'effet pour le développement spirituel où la spontanéité d'une sincérité absolue est indispensable, Sri Aurobindo a écrit très clairement à ce sujet. Et ce qu'il a écrit là-dessus a paru dans La Synthèse des Yogas. Pourtant, comme une première aide pour se mettre en route, je peux te dire : (1) qu'en se levant, avant de commencer la journée, il est bon de faire l'offrande de cette journée au Divin, l'offrande de tout ce que l'on pense, tout ce que l'on est, tout ce que l'on fera; (2) et le soir, avant de s'endormir, il est bon de passer en revue la journée pour noter toutes les fois que l'on a oublié ou négligé de faire l'offrande de soi ou de son action et d'aspirer ou de faire une prière pour que ces oublis ne se renouvellent pas. Ceci est un minimum et un tout petit commencement — et doit croître dans la mesure de la sincérité de la consécration. Le 31 mars 1965 Page – 317 Douce Mère, Comment augmenter la concentration (single-mindedness) et la force de volonté — elles sont si nécessaires pour faire quoi que ce soit. Mère, j'ai commencé à lire des livres français — X m'en a donné une liste.
Par l'exercice régulier, persévérant, obstiné, inlassable — je veux dire l'exercice de la concentration et de la volonté. C'est bien que tu lises beaucoup de français; cela t'apprendra à écrire. Le 7 avril 1965 Douce Mère, Tu as écrit : "De tous les renoncements, le plus difficile est de renoncer à ses bonnes habitudes¹."Que veux-Tu dire exactement par cela ? Est-ce que cela suggère que les bonnes habitudes ne sont pas nécessaires dans le yoga ?
Les bonnes habitudes sont indispensables tant qu'on agit par habitude. Mais pour atteindre le but suprême du yoga, il faut abandonner tout lien quel qu'il soit, et les bonnes habitudes sont aussi un lien qu'il faut un jour abandonner quand on veut et on peut ne plus obéir qu'à la seule impulsion suprême, la Volonté du Suprême. Le 14 avril 1965 Douce Mère, Tu as écrit : "Tant que vous avez à renoncer à quelque chose, vous n'êtes pas encore sur le chemin²." Pourtant, c'est lorsqu'on est sur le chemin que commence tout renoncement ?
¹Conversations, éd. 1979, p. 185. ²Ibid., p. 185. Page – 318 Ce que j'appelle : "être sur le chemin", c'est être dans un état de conscience où seule l'union avec le Divin a de la valeur, cette union est la seule chose qui vaut d'être vécue, le seul objet de l'aspiration ; tout le reste a perdu toute valeur et ne mérite pas d'être recherché ; ainsi il n'est plus question d'y renoncer puisque ce n'est plus un objet de désir. Tant que l'union avec le Divin n'est pas la chose pour laquelle on vit, on n'est pas encore sur le chemin. Le 21 avril 1965 Douce Mère, Pourquoi l'inde qui a un passé si riche et la promesse d'un avenir si brillant, est-elle dans une condition si misérable à présent? Quand est-ce qu'elle sortira de cette condition pitoyable et réaffirmera sa grandeur ?
Quand elle renoncera au mensonge et vivra dans la Vérité. Le 28 avril 1965 Douce Mère, Pourquoi Sri Aurobindo avait-Il conseillé en 1947, aux chefs indiens d'accepter les "Propositions Cripps¹", alors qu'il savait très bien qu'ils ne le feraient pas ? Le Divin donne souvent des conseils ou essaye de guider l'homme, sachant très bien que Son aide sera refusée. Pourquoi donc le fait-Il ?
Le Divin informe toujours, mais il est bien rare que les hommes L'écoutent. Ou ils ne L'entendent pas ou ils ne Le croient pas.
¹Sri Aurobindo avait envoyé un messager spécial à New Delhi pour demander aux dirigeants du Congrès d'accepter, comme un premier pas,.le statut propose par sir Stafford Cripps pour l'Inde. Sri Aurobindo considérait que ce statut conférait l'essentiel de l'indépendance en mettant l'Inde sur un pied d'égalité avec les divers Dominions déjà associes à la Grande-Bretagne. Si l'on avait écoute Sri Aurobindo, la partition de l'Inde eût sans doute été évitée. Page – 319 Toujours les hommes se plaignent de ne pas être aidés, mais la vérité est qu'ils refusent l'aide qui est toujours avec eux. Le 5 mai 1965 Douce Mère, Tu dis que "pour espérer prendre part à la nouvelle réalisation", "vous devez sentir que ce monde est laid, stupide, brutal et plein d'une souffrance intolérable¹". Mais celui qui sent que tout ici est le jeu de Dieu bienveillant, dans quel état se trouve-t-il ? Ne prend-il pas part à cette nouvelle réalisation ?
C'est dans les profondeurs de la conscience, par-delà le mental, qu'on peut en toute sincérité avoir l'expérience que tout est le Divin et que seul le Divin existe. Mais la manifestation est progressive et pour avoir las force d'avancer en rejetant ce qui doit disparaître, il faut sentir fortement son indignité et son incapacité d'exprimer la perfection divine. Les deux états de conscience doivent être simultanés et complémentaires, non pas successifs et contradictoires, et cela aussi n'est possible que lorsque le siège de la conscience est par-delà le mental et ses limitations. Le 12 mai 1965 Douce Mère, Quand les chefs ou les supérieurs commettent des fautes ou une injustice envers leurs inférieurs, quelle doit être l'attitude de ceux qui sont affectés par ces erreurs ? Faut-il se taire en disant "ce n'est pas mon affaire" ou faut-il essayer de leur indiquer la faute ?
Ni l'un, ni l'autre. Il faut, d'abord et toujours, se demander quel est noire instrument de jugement.
¹Conversations, éd. 1979, p. 185. Page – 320 Il faut se demander : sur quoi est basé mon jugement ? ai-je la connaissance parfaite ? qu'est-ce qui juge en moi ? ai-Je la conscience divine ? suis-je complètement désintéressé en la matière ? est-ce que je suis libre de tout désir et de tout ego ? Et comme à toutes ces questions la réponse sera la même, c'est-à-dire NON, la conclusion honnête et sincère doit être ; je ne peux pas Juger, je n'ai pas les éléments requis pour un Jugement vrai, par conséquent je ne juge pas et Je me tiens tranquille. Le 19 mai 1965 Douce Mère, Étant un individu, on est obligé de prendre des décisions et de donner ses opinions ; mais comme on est loin de cette Conscience-de-Vérité, est-ce qu'il faut toujours se taire ? En quoi consiste une individualité ?
Une individualité est un être conscient organisé autour d'un centre divin. Tous les centres divins sont essentiellement Un dans leur origine, mais agissent comme des êtres séparés L'individu doit. pour vivre, prendre des décisions, mais il n'est pas indispensable qu'il ait, et encore moins qu'il donne, ses opinions. C'est l'ignorance qui a des opinions. La connaissance sait. Le 26 mai 1965 Douce Mère, La descente du Ashram qui' Tu as annoncée le 29 février 1956 n 'est encore qu 'une "chose dont on entend parier" pour la majorité des gens ici. Quand allons-nous sentir et voir ce changement suprême et radical de la nature tout entière que Tu as prédit ? Page – 321 La descente des avant-coureurs des forces supramentales est un fait (pas une prédiction). L'incapacité de l'immense majorité des êtres humains d'en devenir conscients est un fait qui ne peut en aucune façon affecter le fait de cette apparition de forces et de puissances dans le monde physique. Le changement "suprême et radical" de !a nature tout entière ne peul venir qu'après une longue et lente préparation, et ne sera perçu par les hommes que lorsque leur conscience sera éclairée. Le 2 juin 1965 Douce Mère, Les résolutions que Je prends perdent de leur intensité et de leur ardeur avec le temps. Comment puis-je garder cet enthousiasme et l'accroître de plus en plus ?
VOULVOIR Le 9 juin 1965 Douce Mère, Tu as dit : "C'est la même force qui, absorbée dans l'ignorance, prend la forme des désirs vitaux et vers la transformation¹." Cet élan, est-ce celui de l'aspiration ? Et alors pourrait-on dire que l'aspiration est un désir purifié ?
On peut dire tout ce que l'on veut, pourvu qu'on comprenne ce que l'on dit. Les mots ont peu d'importance, c'est l'expérience et la sincérité de l'expérience qui comptent. Le 23 juin 1965 Douce Mère, Tu parles (dans les Entretiens.) du plongeon qu'il nous faut faire pour la vraie expérience spirituelle.
¹Conversations, p.191 Page – 322 Est-il possible d'y arriver seulement par l'aspiration, ou y a-t-il une méthode ou une discipline à suivre ?
Tous les cas sont possibles. Tous les chemins mènent au but pourvu qu'ils soient suivis avec persistance et sincérité. Il est préférable pour chacun de trouver le sien propre, mais pour cela, l'aspiration doit être ardente et la volonté inébranlable avec une patience à toute épreuve. Le 30 juin 1965 Douce Mère, Les maladies et les accidents sont-ils le résultat de quelque chose de mal que l'on a fait ou pensé, d'une chute dam son état de conscience ? Si la cause en est une faute commise, comment la découvrir?
Cela n'a rien avoir avec une punition, c'est une conséquence naturelle et normale d'une erreur, d'un manque ou d'une faute qui produit nécessairement ces conséquences. A dire vrai, dans le monde, tout est une question d'équilibre ou de déséquilibre, d'harmonie ou de désordre — les vibrations d'harmonie appellent et encouragent les événements harmonieux; les vibrations de déséquilibre créent pour ainsi dire le déséquilibre dans les circonstances (maladie, accidents, etc.). Ceci peut être collectif ou individuel, mais le principe est le même — et le remède aussi : cultiver en soi l'ordre et l'harmonie, la paix et l'équilibre en se soumettant sans réserve à la Volonté Divine. Le 7 juillet 1965 Douce Mère, Sri Aurobindo dit : "Si la transformation du corps est complète, cela signifie qu'il ne sera plus soumis à la mort. (...) On se créera un nouveau corps quand on voudra changer¹."
¹Lettres sur le Yoga - I, éd. 1982, p. 13. Page – 323 Mère, que veut-Il dire par "On se créera un nouveau corps quand on voudra changer" ? Ce changement se fait-il sur le corps que l'on a déjà ou faut-il le quitter? S'il faut le quitter, apparemment c'est la mort. Alors... ?
Ce qu'il veut dire, c'est que lorsqu'on aura le pouvoir de soustraire le corps physique à l'influence de' la mort, le pouvoir de transformation sera tel qu'on pourra aussi changer la forme de ce corps à volonté. Le 14 juillet 1965 Douce Mère, Que veux-Tu dire par "changer la forme de ce corps à volonté" ? Par exemple, un homme âgé de cent ans pourrait-il renouveler son corps et devenir un jeune homme de vingt-cinq ans ?
Ceux qui auront un corps supramentalisé seront au-dessus de la loi de l'usure ; par conséquent la question d'âge ne se posera pas pour eux. Le 21 juillet 1965 Douce Mère, Une fois. Tu avais dit dans les classes du Mercredi que pour ne pas sentir une douleur, il faut, pour ainsi dire, couper le nerf qui mène cette sensation au cerveau. Mais comment arriver à le faire ?
Je n'ai pas dit "couper le nerf", ce serait une opération chirurgicale ! J'ai dit couper la connexion consciente avec le cerveau. C'est une opération occulte, certainement plus difficile que l'autre pour ceux qui ne savent pas la faire, mais moins dangereuse. Le 28 juillet 1965 Page – 324 |